Nina dessine majestueusement bien. Je l’ai rencontrée à une expo il y a quelques mois. Elle peint comme un maitre. Des paysages, du portrait, des animaux. A côté, mes créations abstraites relèveraient du coloriage de grande section. Nina garde toujours précieusement ses créations dans son grand carton à dessins vert. Elle l’emmène partout. Et dès que quelqu’un lui demande de voir ses créations, son regard s’illumine. Elle les montre fièrement, détaille ses sources d’inspiration, puis referme les sangles de son carton avec soupir : car, elle pense qu’elle ne pourra jamais vraiment exposer, ni vivre de son art.
Il y a quelques jours, on s’est croisé en ville. Elle avait son carton à dessins, elle m’a montré ses dernières créations. Rebelote. Elle soupire. Le désespoir la gagne au point d’envisager, me dit-elle un retour à Moscou car elle se sent loin des siens, et sa passion «ne prend pas ici».
« Je ne sais pas comment je dois m’y prendre Sana, tu sais j’aimerais bien y arriver mais je ne sais pas comment », me dit-elle.
« Est-ce que le « comment » est vraiment important ? », je sens que ma question la perturbe.
« Bien sûr que oui», me dit-elle. Elle ajoute : « dans tout projet, il y a la phase stratégique de définition des enjeux, des moyens, du «comment».
Je lui demande alors :
« Est-ce que tu veux vraiment exposer ? ».
Je lui pose cette question car moi-même, j’ai un rêve enfoui : celui d’exposer certaines de mes toiles mais l’heure n’a pas encore sonnée car fondamentalement, je n’ai pas un désir ardent (pour le moment) de le faire.
« Bien sûr, c’est mon rêve ultime Sana ». Son regard se perd au loin.
« Nina, loues une galerie », lui dis-je alors.
Elle me regarde, interloquée :
« Je ne connais personne ».
Je surenchéris :
« Loues un Airbnb alors. Achètes des chips, des jus de fruits, du champagne, des cacahuètes, crées ton event sur les réseaux et fonces ».
Son visage s’illumine, Nina se mets à rire puis me demande :
« Des caca-wouétes ? ». Elle demande à Google de lui trouver l’objet du désir.

Puis, elle ajoute en riant aux éclats :
« « Da », c’est comme les pistaches ».
« Absolument, ce sont un peu les cousines des pistaches, mais sans la coque ».
Elle me remercie chaleureusement, et repart tout sourire.
J’accélère le pas, en repensant à cette question du « comment ». Je suis sûre que si nous nous torturions moins l’esprit avec cette question, nos projets prendraient une autre allure.
Et si nous jetions nos dés en étant convaincus que notre mise s’avérera gagnante ? Et si le secret résidait dans le « je vais le faire un point c’est tout » ? Et si nous nous dispensions du plan B ?
L’histoire ne s’arrête pas là. Figures toi que dix jours plus tard, je reçois un MMS d’invitation :
« Chère amie,
Tu es conviée à ma première exposition au 2 rue des Créations, près du château. N’hésites pas à en parler autour de toi. Nina ».
J’ai relu deux fois le message. Je l’ai transféré. Le bouche à oreille, et la magie de la vie ont fait le reste. 23 personnes conviées. 44 présentes.
J’ai repensé au marathon de Londres, course pédestre d’un peu plus de 42 km qui emprunte les rues de Londres, et qui se tient chaque année en avril. Je l’ai inscrit en début d’année sur ma liste de rêves (mais sans conviction, je dois bien l’avouer).
Quand j’en ai parlé à ma sœur, elle m’a dit :
« Sana, t’as le physique pour, ok. Mais tu ne cours que rarement, voire jamais. Tu comptes y aller la fleur au fusil ? Tu sais ce que c’est 42 km ? ».
Le « comment » avait ainsi refait surface. Je suis passée à autre chose. Mais c’était sans compter un clin d’œil du destin.
Figures toi que je tombe, le jour de la fête des travailleurs, sur un cliché de Mathieu (sur les réseaux sociaux), à Greenwich, sur la ligne de départ, dossard sur le dos.
Mathieu est un ami du lycée. Si je devais le caractériser, je dirais que c’est un peu « le mec qui n’a peur de rien ».
Quand je lui ai demandé comment il a fait pour se trouver sur la ligne de départ à Londres alors que je le sais « peu sportif », et que c’est un peu la croix et la bannière pour les inscriptions. Il m’a répondu :
« J’avais besoin de barrer ce challenge de ma liste. Je me suis inscrit. Je me suis entrainé deux mois avant et voilà. Je n’ai pas fait un super temps mais mon objectif était de participer et de finir la course. C’est chose faite ».

J’ai surenchéri avec d’autres questions :
« Du coup t’as passé le tirage au sort en tant qu’oversea (étranger), et tout ? ».
« Ouais. Premier arrivé, premier servi : je me suis inscrit en mai dés la première heure de l’ouverture des inscriptions, tellement j’étais motivé. En octobre, j’ai reçu une réponse positive. Et en mars, j’ai reçu par mail le registration form pour le dossard. En fait, je me suis même pas posé la question du « comment ». J’ai décidé d’y participer, c’est tout Sana ». Il m’a répondu avec calme et détachement.
Du coup, on a échangé sur cette question du « comment », et il m’a raconté une anecdote sur l’un de ses meilleurs amis qui vit dans le sud-est et dont la femme rêve d’une piscine dans leur jardin.
« Sana, tu sais ce qu’il a fait ? Cela faisait un moment que sa femme le bassinait avec la piscine. Du coup, il y a 15 jours, il a loué des engins, et il a commencé à creuser un immense trou dans le jardin », poursuit Mathieu.
« Vraiment ? Il a commencé à creuser comme ça, je veux dire sans plan ? Ils ont éludé la question du budget, de l’implantation ? Pas de devis ? Mais c’est du terrassement, il n’a pas fait appel à un pro ?», surenchéris-je.
« Et non Sana, là t’es clairement dans le « comment ». Il a foncé c’est tout. Peut-être que la prochaine étape, il va la déléguer mais là, il ne voyait pas l’intérêt de confier cette tâche. Sa femme lui a même dit que c’est un grand malade de mettre la charrue avant les bœufs. Elle a peur qu’il n’aille pas jusqu’au bout et qu’ils se retrouvent avec un trou béant dans le jardin d’autant qu’ils n’ont pas tout à fait le budget. Mais je le connais, il ira jusqu’au bout, quitte à faire un emprunt, et demander conseil à des pros ».

Waouh. Le faire, un point c’est tout. J’étais scotchée.
Je sais ce que tu vas me dire. Tous les profils de personnalité ne peuvent pas se lancer tête baissée dans un projet sans un cadre préétabli. Ce n’est sûrement pas adapté à toutes les situations de la vie.
Je dis juste que souvent la question des moyens, de la stratégie (« du comment ») nous inhibe , ou nous fait procrastiner. Je dis juste que souvent, c’est en chemin que se dessinent les solutions. C’est en se lançant qu’on peut rencontrer les bonnes personnes, échanger, rectifier, apprendre..
En somme, passez à l’action est souvent la seule chose dont on ait besoin.
Sana,
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